De l’école d’aujourd’hui à L’Ecole de Demain : sortir des cases pour une approche pédagogique « tout-en-un ».

A Bienne, un établissement scolaire pas tout à fait comme les autres a vu le jour en 2020. Nous sommes donc retournés sur les bancs de l’école le temps d’une journée pour rencontrer Virginie Dousse, fondatrice de l’Ecole de Demain, et en apprendre un peu plus sur ce projet hors des cases (et hors les murs !)

Virginie enseigne au primaire depuis 16 ans à l’école publique. Passionnée, riche de son expérience mais constatant les limites du système public, elle décide en 2015 de matérialiser sa propre vision de l’école et de créer son établissement. Une école primaire alternative et bilingue français-allemand qu’elle dirige aujourd’hui en parallèle de son activité partielle au sein de l’école publique.

Comment a débuté ce projet et quand as-tu commencé à le mettre en place ?

Le jour où je me suis ennuyée au gymnase ! *rires* Plus sérieusement, j’avais de la peine à comprendre pourquoi on enseignait des choses parfois inutiles à l’école. J’ai besoin d’apprendre des choses concrètes, d’y voir une utilité directe et ce n’était pas toujours le cas dans certaines de mes formations. Alors je me suis dit : mais pourquoi on ne crée pas une école où l’on apprend réellement des choses utiles au quotidien aux enfants ? Où on leur apprend à cuisiner depuis tout petit et à planter des choux ? Il faudra, un jour peut-être, réussir à se nourrir seul… Le COVID a juste mille fois confirmé ce que je pensais déjà : il faut qu’on réapprenne à s’auto-gérer.

« Comment les enfants peuvent-ils s’auto-gérer s’ils pensent que les pommes de terre poussent dans les arbres ? ».

J’avais donc envie de concret mais également d’une école aux valeurs humaines, ayant moi-même souffert de la critique et de la compétition étant jeune. J’ai aussi vu des choses difficiles en tant qu’enseignante, notamment la manière dont sont traités certains enfants jugés « inadaptés » alors que c’est le système qui n’est, d’après moi, pas assez flexible pour accueillir tous les enfants. Ce qui me dérangeait aussi, c’était la lenteur du système pour pouvoir innover. J’ai été frustrée par les freins que j’ai pu rencontrer lorsque j’ai proposé certains projets au sein de l’école publique.

J’ai gagné en expérience puis, en 2015, j’ai commencé à écrire un livre et je me suis dit qu’il fallait que je me lance et que je crée mon école. En 2017, j’ai essayé de parler de ce projet autour de moi et de trouver des gens intéressés à y participer. Je me suis rendue compte que des gens motivés il y en a beaucoup, mais des gens qui ont du temps il n’y en a pas beaucoup ! Alors j’ai tout créé toute seule, de zéro.

Par la suite, certaines personnes se sont impliquées dans le projet dans le but d’y travailler concrètement. J’ai aussi eu la chance de tomber sur une personne extraordinaire que j’ai nommée après-coup vice-directrice car elle m’a beaucoup aidée avec la partie administrative. En effet, une fois que l’autorisation m’avait été donnée pour ouvrir l’école et le projet validé, je gérais moi-même la partie pédagogique mais je ne suis ni comptable ni businesswoman et, même si j’ai quelques notions de marketing et de communication, j’avais besoin de quelqu’un pour gérer ce volet. De fil en aiguille j’ai rencontré diverses personnes qui correspondaient à ce dont j’avais besoin et cette intelligence collective nous a permis de développer le projet. Ce n’était pas parfait car on débutait tous, mais au fur et à mesure ça s’est défini. Les personnes qui avaient du temps sont restées et celles qui ne s’y retrouvaient plus sont parties, puis d’autres sont arrivées.

« Kurt Cobain disait :  »Ça ne sera pas parfait, mais ça sera’’. Et c’est ! » 

C’est difficile de se motiver seule mais j’ai eu la chance d’avoir une ou deux personnes présentes pour me motiver et celles qui sont là aujourd’hui sont vraiment là pour agir. Les idées, c’est bien, mais il faut se mettre en action ! Actuellement des personnes géniales sont impliquées dans le projet, il prend forme et ressemble de plus en plus à ce dont je rêvais.

Qu’est-ce-qui vous différencie des autres écoles en termes de matières enseignées ? Peux-tu nous parler un peu plus de la pédagogie que tu utilises ?

Ce qui nous différencie, c’est la manière d’aborder les matières et le matériel que l’on utilise. On essaie de faire travailler les plus petits avec du matériel kinesthésique, notamment Montessori, et de développer aussi l’autonomie des plus grands qui, eux, ont du matériel plus standard. Les enfants travaillent tous par plan individualisé et ont des cahiers ludiques, en couleurs, avec des autocorrectifs qui leur permettent de se corriger eux-mêmes. L’idée c’est qu’ils soient les plus autonomes possibles en alternant les moments de jeux ou de pause et les moments de travail. C’est à eux de décider s’ils veulent faire du français ou des maths car à partir du moment où ils font les deux, qu’ils commencent par l’un ou l’autre a assez peu d’importance.

« Il n’y a pas qu’une pédagogie car il n’y a pas qu’un chemin pour apprendre. »

On a décidé de faire un melting pot de tout ce qui existait en termes d’approches pédagogiques, pour que l’enfant puisse trouver sa manière de faire. Il y a des enfants qui sont visuels, d’autres auditifs, d’autres encore kinesthésiques, donc on essaie d’enseigner en utilisant tous ces canaux d’apprentissage. Alors on leur fait dire, voir, entendre, toucher. En cuisine, par exemple, ce sera plutôt à travers l’odorat et le goût qu’on va leur permettre de se rappeler du nom d’un fruit ou d’un légume. On fonctionne aussi beaucoup par pédagogie de projet : on travaille actuellement sur la thématique de la ville de Bienne, puis on commencera la protection de l’environnement. On va donc explorer ce qui se fait à Bienne pour réduire la pollution et moins consommer, puis regarder ce qui se fait à plus grande échelle. On essaie d’être dans le concret. Ce qu’on a inventé, c’est peut-être justement qu’on fait de tout. Je ne voulais pas avoir d’étiquette pédagogique. On cherche à rendre l’enfant le plus autonome possible en l’aidant avec des supports visuels et une structure toujours constante. C’est de la pédagogie didactique ! 

« On commence nos journées à 9h par l’accueil : on s’assied tous ensemble, on discute de comment chacun se sent et on prend le temps d’accueillir les émotions. »

Les enfants prennent ensuite leur cahier et leur plan de travail et s’y mettent. Les grands lisent les consignes et font leurs exercices tout seuls. Les petits n’ont pas de plan de travail mais vont plutôt pouvoir s’inscrire à des ateliers organisés pour eux, comme l’atelier poupée. En général, les enfants s’entraident les uns les autres car ils y sont habitués, mais il y a toujours une enseignante pour regarder s’ils ont besoin d’aide. Nous sommes toujours deux adultes présents. 

Les pauses sont définies par les enseignants : certains utilisent un système de cloche, d’autres voient la fatigue de l’enfant et lui font prendre une pause en fonction. On n’a pas vraiment de sonnerie qui indique un temps de pause mais on fait généralement au feeling. Les enfants mangent et boivent quand ils veulent, sauf lorsqu’ils manipulent du matériel.

Finalement, ce qui est spécial ici c’est notamment que les tout-petits cuisinent déjà, qu’on fait l’école en forêt, que chacun avance à son rythme. Certains élèves avancent plus vite donc on adapte et on leur donne des choses à faire qui ne correspondent pas forcément au niveau officiel auquel ils se trouvent. Parfois, on donne des devoirs de réflexion mais pas de punitions. Et si les enfants finissent en avance leur plan hebdomadaire, et bien ils sont libres de jouer !

Elève jouant dans les bois lors de l'école en forêt

A quoi ressemble une semaine type à l’École de Demain ? Vous proposez également des services particuliers avec un système à la carte, c’est ça ?

Le lundi matin, après l’accueil, on explique ce que l’on va faire durant la matinée et dans quel ordre, puis on envoie chaque enfant faire son plan de travail. Le matin, ils travaillent plutôt les matières scolaires et l’après-midi ils font plutôt des choses créatives, en fonction du thème. Le mardi matin, une fois sur deux c’est le cours de yoga, puis ils travaillent de nouveau les matières scolaires tout comme le mercredi. Le jeudi, c’est la journée des sciences avec l’école en forêt. Ils font du feu à midi, mangent ensemble, construisent des cabanes et travaillent différents thèmes en fonction des saisons. Le vendredi matin c’est tout ce qui est lié à la nutrition et au bien-être. A 10h30, ils vont chercher des paniers de légumes frais produits par des agriculteurs de la région et reviennent cuisiner les légumes qu’ils ont choisis ensemble.

On fonctionne avec un système à la carte et les parents peuvent inscrire leurs enfants pour des modules horaires ou des jours fixes particuliers, c’est donc un accueil assez flexible qui se combine assez bien avec le homeschooling par exemple.

Pendant les vacances scolaires officielles, on organise également des camps ouverts à tous. Cette année, c’était un camp d’anglais destiné à activer le plus de vocabulaire possible sur des thèmes variés. On est allés au zoo, à la ferme, à la gare ; on a fait un cours de cuisine, un spectacle de musique et de théâtre. Alors c’est vrai, ce n’était pas un camp avec beaucoup de cours sur les bancs et de supports écrits contrairement à ce que certains parents avaient pu imaginer…

« C‘est difficile de plaire à tout le monde et je crois que c’est en voulant plaire à tout le monde qu’on ne plait à personne. »

Comment est-ce-que vous suivez et évaluez la progression des élèves ?

J’ai développé des grilles d’évaluation qui permettent d’observer la progression des compétences durant l’année. On travaille avec les objectifs du Plan cadre romand et on définit si c’est « atteint », « pas encore atteint » ou « pas observé », tout simplement. C’est le cas pour toutes les matières principales mais aussi pour les capacités transversales, à savoir : est-ce un enfant ouvert à la diversité culturelle ? Est-il empathique, joue-t-il avec les autres ? Élabore-t-il ses opinions et ses choix ? Articule-t-il et communique-t-il son point de vue ? 

« Bien entendu, pour évaluer les objectifs il faut tenir compte du contexte et de l’âge de l’enfant : s’il n’en a pas atteint certains tout petit c’est normal, certains adultes n’y arriveront jamais !  »

On répertorie les objectifs du plan cadre car c’est obligatoire, mais il y a d’autres objectifs humains qui nous sont propres et que l’on évalue plutôt lors des activités. En réalité, tous ces objectifs ne doivent pas obligatoirement être évalués avec des notes mais le système public est habitué au système de notation. A l’École de Demain, nous ne notons pas les élèves.

Est-ce-que les enfants qui sortent d’ici peuvent retourner à l’école classique ?

Oui, s’ils le décident. On montre les acquis et le dossier à l’école et le transfert se fait normalement. C’est pour cela que nous avons des dossiers pédagogiques précis : pour aider l’école publique dans le cas où un enfant décide d’y retourner. Celui-ci reprend dès lors le chemin standard. 

Ce n’est pas parce-qu’on on est une école alternative qu’on n’aura pas d’échec. Des enfants en difficulté comme des enfants surdoués il y en a ici aussi. Ce qui m’intéresse, à terme, c’est de voir si un enfant qui est venu ici – en espérant qu’on puisse un jour ouvrir le secondaire – a des chances de réussir les examens du gymnase et arrive a avoir une vie épanouie et être heureux. C’est le but avant toute chose. Peu importe qu’il fasse des études, ce qui compte c’est qu’il fasse ce qu’il aime. C’est difficile de faire comprendre cela dans l’école publique qui a tendance à catégoriser les élèves entre les « bons » et les « mauvais », pour caricaturer, et c’est un cliché qu’il faut changer.

Est-ce-que ça a été difficile de faire reconnaître officiellement l’école ?

Cela prend beaucoup de temps car il faut bien ficeler le projet, avec des objectifs clairs, un détail de comment et pour qui… et si l’on veut contourner certaines choses basiques comme les évaluations, il faut développer soi-même des outils. Cela m’a pris beaucoup de temps et a nécessité de la patience. J’ai dû trouver le personnel et le nombre d’inscrits et ça, c’est super difficile car pour avoir l’autorisation il faut minimum cinq enfants inscrits et pour avoir minimum cinq enfants inscrits il faut avoir l’autorisation….

 « J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont fait confiance au projet et ont inscrit leurs enfants alors que l’école n’existait pas encore officiellement. C’est très gratifiant. »

Aujourd’hui vous fonctionnez en association ? Comment as-tu pensé ton modèle économique ?

Oui, car c’est aussi une question financière. Je suis partie de rien, de zéro franc. Je n’ai fait aucun crédit pour cette école et ce que vous voyez je l’ai payé de ma poche. Une association, c’était le moyen le plus accessible financièrement mais cela me correspondait aussi sur le plan éthique. Le but n’est pas de faire du bénéfice.

Ce que l’on reçoit mensuellement, notamment les cotisations des parents, devrait nous permettre de tourner mais pour le moment ce n’est pas le cas. On fonctionne également avec un système de parrainage : nos parrains peuvent donner de l’argent tous les mois à l’école et ces dons permettent de réduire le montant du forfait minimum fixe de scolarisation chez nous pour certaines familles. Tous les dons sont les bienvenus car ce sont ces dons qui nous permettent de tenir ! L’idéal ce serait d’avoir plusieurs parrains qui donnent régulièrement de l’argent pour sponsoriser des familles.

Pour l’instant notre équipe est bénévole car nous manquons de ressources financières, mais ce n’est pas durable sur le long terme. On recherche activement des gens qui puissent nous aider avec la recherche de financements, voire des partenaires qui seraient d’accord de lever ou donner des fonds car nous n’avons pas de subventions. L’Etat ne subventionne pas les écoles privées, même avec un statut associatif.

« Le rêve, ce serait d’avoir un jour 400 000 francs suisses de côté à réinvestir pour pouvoir créer un bâtiment écologique en complète autonomie. »

On pourrait le mettre sur roulettes et le déplacer sur des terrains en utilisation intermédiaire en attendant qu’ils reçoivent l’autorisation de construire. Faire deux ans quelque part, puis deux ans ailleurs. Le projet est prêt, même le système de récupération d’eau de pluie pour les toilettes… il nous manque juste l’argent !

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui a envie de se lancer et monter un projet ?

Je dirais qu’il faut savoir que ça ne sera pas facile. Il faut avoir les épaules assez larges pour aller jusqu’au bout, être patient, se dire qu’avoir des moments très difficiles fait partie de l’aventure. Il faut y croire et ne pas écouter les peurs des autres, sinon on ne fait rien.

Il ne faut pas non plus avoir peur de compter ses heures. Être proactif, communiquer, oser demander de l’aide et s’entourer tout en gardant en tête ce que l’on veut. Il n’y a pas d’échecs, que des leçons. Il faut être prêt à apprendre ces leçons et avancer.

Qu’est ce qui te fait tenir malgré les difficultés ?

« Je sais que c’est un projet que je dois mener car les enfants en ont besoin et j’ai la conviction que c’est quelque chose de bien pour la planète et pour l’être humain. » 

J’ai envie de laisser une trace sur cette terre qui ait du sens. D’ailleurs il y a mille autres choses à faire sur cette planète et il ne s’agit pas forcément de faire des choses extraordinaires mais des choses qui ont un impact et sont porteuses de sens, comme organiser un service pour les personnes âgées, créer un jardin en permaculture dans son quartier… 

J’ai aussi deux filles de 13 ans et 11 mois que j’élève seule et j’ai envie de réussir pour elles, pour qu’elles soient fières de moi. Je veux être sûre d’aller jusqu’au bout, même si ça ne marche pas. Les débuts ont été difficiles, ça l’est toujours financièrement et parfois on a envie de tout plaquer ! Mais maintenant le projet s’ancre un peu plus et j’espère que l’année prochaine ça décollera pour de bon, autant pour moi que pour ceux qui y mettent du cœur. Car sans les autres, je n’existe pas. Quand on lance un projet, c’est important de valoriser les autres. 

Je projette aussi quelque chose de positif car je suis convaincue que ça ira. La pensée positive, c’est très important. Il faut aussi oser demander des “signes” et prêter attention à ceux que la vie met sur notre chemin, car si l’on est prêt à les voir, ils sont souvent très clairs !

Est-ce qu’il y a des choses que tu referais, ou ne referais pas ?

Je serais peut-être moins impatiente et je ferais une chose à la fois ! Mais je ne changerais presque rien, car ce sont mes erreurs qui m’ont le plus appris.

On espère que cet article vous aura plu. Nous souhaitons tout le meilleur à ce très joli projet ! 

Vous pouvez retrouver l’École de Demain sur son site internet, sur Instagram et sur Facebook

L’École est actuellement à la recherche de nouveaux parrains pour sponsoriser des familles. Pour devenir parrain, c’est par ici.

Si cette “école de la vie” aux valeurs fortes, proche de la nature et de l’humain vous a séduit.e, il y a plein de moyens de les soutenir. N’hésitez pas à les contacter pour en savoir plus !

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