Le modèle coopératif : et si on produisait ensemble ?

Comment produire des légumes, vendre des denrées ou produire de l’énergie locale de manière collective ? Le modèle coopératif offre une alternative pleine de potentiel pour contribuer à l’économie sociale et solidaire.

Une coopérative, c’est “une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs à travers une entreprise détenue collectivement et contrôlée démocratiquement.”1 Nous décryptons ici son approche, ses origines, ses principes fondamentaux et son application en contexte Suisse.

Au-delà de l'entreprise classique

La coopérative est avant tout une association de personnes qui vise à produire un bien. Alors quelles différences avec l’activité de production d’une entreprise classique ? Cette production est collective ! Elle est orientée avant tout vers les besoins des membres de la société afin de satisfaire leurs aspirations, besoins économiques, sociaux et culturels communs. Ainsi, le but premier de la coopérative n’est pas de réaliser du profit, mais d’agir collectivement pour satisfaire des besoins insatisfaits ou mal satisfaits par les agents économiques existants ou par l’Etat. En tant qu’entreprises animées par des valeurs d’équité et de solidarité, elles se situent dans l’approche de l’économie solidaire.

L’économie solidaire regroupe les organisations privées situées entre le secteur public et le secteur marchand.2 Le chercheur Jean-Louis Laville en a proposé la définition suivante : “l’ensemble des activités économiques soumises à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel, contribuant ainsi à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens”.3 Il s’agit d’une forme d’organisation de l’économie où les producteurs et les consommateurs établissent de manière concertée l’organisation de la production et de la répartition des richesses.4 Cette approche a été promue par l’anthropologue Karl Polanyi qui critiquait le libéralisme économique du XIXe siècle et la croyance selon laquelle le fonctionnement de l’organisation économique pouvait être assuré par la seule institution marchande, en divisant nettement les sphères économiques et politiques. Selon lui, l’économie politique ne pouvait pas se réduire à des motivations intéressées (motivation de profit) et devait s’ouvrir à d’autres motivations « non-économiques » sous-jacentes aux principes de réciprocité (liens sociaux forts) et de redistribution. Cela souligne que ces activités productives représentent également un outil politique démocratique. En bref, l’économie solidaire s’insère dans la société pour ouvrir une troisième voie entre secteur public et secteur privé et ainsi guider la production autour de valeurs sociales.

Aux origines du mouvement coopératif

Alors, d’où provient cette approche coopérative ? En 1844, la cité industrielle de Rochdale, en Angleterre, fait tourner son industrie textile à plein régime. Les ouvriers peinent à augmenter leurs salaires et leurs revendications ne sont pas entendues. Les quelques travailleurs sans emploi et isolés ne pouvaient pas se permettre d’acheter des denrées qui leur coûtaient trop cher ; c’est pourquoi il leur a fallu créer une alternative qui puisse améliorer leur condition : rassembler leurs maigres ressources et travailler ensemble pour accéder à des produits de base à un meilleur prix. Initiée par des tisserands, puis rejointe par des travailleurs de secteurs variés, la Société des équitables pionniers de Rochdale regroupant vingt-huit artisans est enregistrée le 24 octobre 1844. 

Photo représentant la Rochdale Society

Deux mois plus tard, ils ouvrent un petit local pour y rassembler du beurre, du sucre, de la farine de froment et de la farine d’avoine. Chaque client est devenu membre de la coopérative et s’est retrouvé concerné par l’entreprise. Par la suite, le magasin s’est développé et s’est diversifié, notamment par l’occupation de l’ensemble du bâtiment dans lequel il s’est installé et par la mise en place d’une bibliothèque. Le modèle rencontre un succès : sept ans plus tard, la Société compte 630 membres. Leur projet étant également celui d’un changement de société, ils développent une bibliothèque, une caisse de secours, une structure d’enseignement, etc., et constituent ainsi une société alternative à l’économie libérale. Ainsi, on s’accorde à dire que cette société aurait posé les bases du mouvement coopératif.

Depuis, le mouvement s’est largement répandu dans le monde. En 1895, l’ONG de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) voit le jour afin de regrouper et représenter les coopératives à l’international. Aujourd’hui, elle assiste les quelque 3 millions de coopératives dans le monde entier, qui couvrent tous les secteurs de l’économie : agriculture, banques, pêche, santé, logement, assurance, industrie et autres services.5

Principes de base

Les sept principes qui guident les coopératives ont été élaborés par les pionniers de Rochdale, puis formalisés par l’Alliance Coopérative Internationale.<sup>6</sup>

Le premier principe de l’ACI est le suivant : “adhésion volontaire et ouverte” des membres, autrement appelés coopérateur·rices ou sociétaires. Ceux·elles-ci ne doivent subir aucune discrimination liée à leur sexe, leur statut social, leur ethnie ni leur affiliation politique ou religieuse. Il·elle·s suivent une aspiration commune, sont motivé·es par des valeurs et s’engagent envers la collectivité. 

Ensuite, chaque sociétaire dispose d’un droit de vote suivant le principe “une personne, une voix” afin de prendre des décisions suivant les intérêts de la majorité. Il s’agit du deuxième principe : 

“Contrôle démocratique exercé par les membres - les coopératives sont des organisations démocratiques contrôlées par leurs membres. Ceux-ci participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions. Les hommes et les femmes qui siègent en tant que représentants élus sont responsables envers les membres. Dans les coopératives primaires, chaque membre jouit du même droit de vote (un membre, une voix). Les coopératives d’autres niveaux sont également organisées de manière démocratique.”

L’entreprise est une propriété collective et les sociétaires se partagent le droit de gestion. Chaque sociétaire détient une part du capital de la coopérative, et donc un droit de propriété. Troisième principe :

“Participation économique des membres - Les membres contribuent équitablement à, et contrôlent par voie démocratique, le capital investi dans leur coopérative. En général, au moins une partie de ce capital appartient communément à la coopérative. Les membres ne bénéficient que d’une rémunération limitée, si tant est qu’ils en reçoivent une, du capital souscrit comme condition d’adhésion à la coopérative. Les membres allouent les excédents à la réalisation de tout ou partie des objectifs suivants : développer leurs coopératives, éventuellement en créant des réserves dont au moins une partie est indivisible ; en redistribuant aux membres en fonction des transactions effectuées avec la coopérative ; et en soutenant d’autres activités approuvées par les membres.”

Un dernier principe à souligner ici est celui de l’autonomie en tant qu’organisation. En effet, les coopératives restent des entités autonomes contrôlées par leurs membres uniquement.

“Autonomie et indépendance - Les coopératives sont des entités autonomes. Elles sont des organisations d’entraide contrôlées par leurs membres. Si elles concluent des accords avec d’autres organisations, y compris avec des gouvernements, ou si elles lèvent des capitaux provenant de sources externes, elles le font de manière à s'assurer que les membres exercent un contrôle démocratique et conservent leur autonomie.”

En ce sens, la coopérative représente une institution auto-organisée.

https://www.itopie.ch/presentation/
Ces principes font office d’idéaux et de valeurs propres aux coopératives. En somme, les sociétaires s’associent et coopèrent pour mobiliser leurs ressources (financières, décisionnelles, en temps) afin de produire un service collectif qui profitera potentiellement à l’ensemble des sociétaires, peu importe leur niveau d’engagement au sein de la coopérative. Toutes les définitions que l’on retrouve dans la théorie convergent vers trois aspects fondamentaux des coopératives : la gouvernance démocratique – détention de droits de propriété et de contrôle pas les membres, la dimension économique de l’activité et l’aspiration commune des membres.7

Comment lancer sa coopérative en Suisse ?8 9

En Suisse, on peut créer sa coopérative à condition d’être au minimum sept associés au départ. Elles peuvent être des personnes physiques – des individus – ou bien des personnes juridiques / morales, comme plusieurs associations, fondations, Etats… Il faut que chacun.e accepte les statuts lors d’une première assemblée constitutive.

De plus, une société coopérative doit comporter trois “organes”, soit trois départements : l’assemblée générale (qui regroupe tous les coopérateur.ices), l’administration (au moins trois membres) et l’organe de révision, qui contrôle les comptes annuels de la société.

Elle peut être fondée sans capital de base. S’il en existe un, le montant doit être réparti à la charge équitable de chaque associé. Le capital total est variable : il dépend de la rentrée ou de la sortie des membres qui apportent chacun.e une valeur nominale fixe. Au final, chaque associé doit au moins prendre en charge une part à valeur nominale fixe.

Ensuite, étant donné la nature productive de cette forme juridique, il faut impérativement s’inscrire au registre du commerce pour pouvoir se lancer.

Enfin, la coop’ peut être dissoute suite à une décision de l’AG. Elle peut aussi cesser ses activités pour cause de faillite, ou en cas de non-respect des lois régissant les coopératives.10

Tableau récapitulatif (librement adapté de Startups.ch)

Diversité des pratiques

En Suisse romande, on retrouve de nombreuses coopératives dans divers secteurs comme des épiceries, coopératives maraichères, d’habitations et même des coopératives d’énergie citoyenne. Dans la pratique, les coopératives prennent des formes variées, d’un ancrage local jusqu’à une présence à l’échelle nationale. De plus, les possibilités sont variées pour impliquer les sociétaires dans l’activité économique : on retrouve des coop’ qui demandent quelques heures de travail mensuels ; d’autres qui disposent de nombreux·ses salarié·es. D’ailleurs, il est intéressant de se rappeler que la Coop, la Migros et la banque Raiffeisen sont des coopératives ! La Migros dispose historiquement de principes éthiques, notamment celui de “placer l’être humain au centre de l’économie” ou “que tous les collaborateurs soient égaux sur le plan humain avec la nécessité d’efficience et de discipline”.11 Aujourd’hui, la Migros comporte quelque deux millions de coopérateur·rice·s. Comment alors poursuivre le principe de démocratie directe avec une structure à si large échelle ? Les coopérateur·rices et collaborateur·rice·s sont-il·elle·s tous et toutes aligné·e·s aux valeurs de l’enseigne ? Rien n’est si sûr.

Mais le modèle coopératif nous semble pertinent pour contribuer à la transition écologique et sociale, car il permet de se réapproprier la production de tous types de produits, tout en distribuant le pouvoir et la richesse de manière équitable. Fondamentalement démocratique dans sa forme juridique et ses principes, ce modèle s’aligne particulièrement bien à un critère fondamental de l’économie sociale et solidaire : la gestion participative de l’entreprise, afin de placer l’être humain au cœur de la vie économique et sociale. Au-delà de l’entrepreneuriat classique, lancer sa coop’ relève de l’entrepreneuriat collectif. Une alternative intéressante pour voir peu à peu s’imposer des entreprises fondamentalement sociales dans le paysage économique.

Ressources utiles pour comparer les formes juridiques et trouver les outils utiles aux lancements de structures :  

Sources :

1 Alliance Coopérative Internationale, “Identité, valeurs et principes coopératifs”, URL : https://www.ica.coop/fr/coop%C3%A9ratives/identite-cooperative

2 Ferraton, C. (2007). 7. L’économie solidaire. Dans : , C. Ferraton, Associations et coopératives: Une autre histoire économique (pp. 195-205). Toulouse, France: Érès.

3 UNIGE, “Economie sociale et solidaire”, 2015, URL : https://ise.unige.ch/isdd/IMG/pdf/dossier_isdd_-_economie_sociale_et_solidaire.pdf

4 Ferraton, C. (2007). 7. L’économie solidaire. Dans : , C. Ferraton, Associations et coopératives: Une autre histoire économique (pp. 195-205). Toulouse, France: Érès.

5 Alliance Coopérative Internationale, “Alliance Coopérative Internationale”, URL : https://www.ica.coop/fr/qui-sommes-nous/alliance-coop%C3%A9rative-internationale

6 Alliance Coopérative Internationale, “Identité, valeurs et principes coopératifs”, URL : https://www.ica.coop/fr/coop%C3%A9ratives/identite-cooperative

7 Saïsset, L. (2016). Les trois dimensions de la gouvernance coopérative agricole: Le cas des coopératives vinicoles du Languedoc-Roussillon. RECMA, 1(1), 19-36. https://doi.org/10.7202/1035585ar

8 Confédération suisse, “Société coopérative : les caractéristiques”, URL : https://www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/savoir-pratique/creation-pme/creation-entreprise/choisir-une-forme-juridique/societe-cooperative.html

9 Startups.ch, “Trouver la meilleure forme juridique”, URL :  https://www.startups.ch/fr/informations/formes-juridiques

10 Chambre de l’économie sociale et solidaire, “Créer une entreprise sociale et solidaire : le guide”, 2012, pp. 42-46 : https://www.apres-ge.ch/sites/default/files/guide_createur_entreprise_sociale_et_solidaire_web.pdf

11 Migros, “Les 15 thèses de Gottlieb et Adele Duttweiler”, URL :  https://www.migros.ch/fr/entreprise/histoire-de-migros/les-15-theses.html

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